26

 

 

Ayla s’était levée très tôt et avait rassemblé ses paniers de cueillette et préparé Whinney. Elle avertit Jondalar qu’elle allait chercher des légumes verts, des racines et tout ce qu’elle pourrait trouver pour le festin du soir, mais elle semblait distraite et mal à l’aise.

— Veux-tu que je t’accompagne ? demanda-t-il.

— Non ! répondit-elle sèchement avant d’adoucir le ton : J’aimerais que tu surveilles Jonayla. Beladora conduit ses enfants chez sa mère ce matin. Jondecam et Levela y vont aussi et emmènent Jonlevan, parce qu’ils sont apparentés. Je ne sais pas ce que fait Kimeran, et il se peut qu’il les rejoigne plus tard. Jonayla est presque de la famille, mais elle risque de se sentir abandonnée si elle ne peut pas jouer avec ses camarades habituels. J’avais pensé que tu pourrais monter Rapide et aller chevaucher avec elle et Grise ce matin.

— Bonne idée. Voilà un moment que nous n’avons pas fait de cheval. L’exercice fera du bien aux bêtes, répondit Jondalar.

Ayla lui sourit et frotta sa joue contre la sienne, mais elle avait encore le sourcil froncé et paraissait malheureuse.

Le jour se levait à peine quand elle partit, montée sur Whinney, et siffla Loup. Elle longea la berge de la rivière, examinant la végétation. Elle savait que les plantes qu’elle cherchait poussaient près de l’endroit où ils avaient campé, mais elle espérait ne pas avoir à aller si loin. Elle passa devant la Troisième Caverne ; elle était déserte. Tout le monde était à la réunion impromptue qui se tenait à la Première Caverne. Elle se demanda comment allait Amelana et si elle allait accoucher avant leur départ ; elle pouvait le faire d’un moment à l’autre. Elle espéra avec ferveur que ce serait un beau bébé, normal et sain.

Elle ne trouva ce qu’elle cherchait qu’à l’approche de leur campement précédent. L’eau stagnante de la rivière avait presque formé un bras mort, l’habitat convenant à la berle et à la ciguë. Elle arrêta sa jument et se laissa glisser à terre. Loup semblait content d’avoir, pour changer, sa maîtresse pour lui tout seul et il était d’humeur folâtre, s’intéressant aux odeurs captivantes.

Avec son couteau et son bâton à fouir, elle commença par ramasser des monceaux de berle. Puis, avec un autre instrument qu’elle avait façonné dans ce but, elle recueillit des racines et des plants de ciguë. Elle les enveloppa dans de longs brins d’herbe et les mit dans un panier séparé, confectionné spécialement à cet effet. Elle le laissa par terre pendant qu’elle rangeait la berle dans les paniers de bât de Whinney, puis arrima le panier de ciguë par-dessus. Elle siffla Loup, puis repartit vers l’amont, pressée de rentrer. En arrivant à l’endroit où la rivière était limpide, elle s’arrêta pour remplir son outre. Puis elle aperçut le lit à sec d’un affluent saisonnier, où les eaux devaient dévaler au moment des pluies. Les galets arrondis et lisses qui en jonchaient le fond étaient parfaits ; elle en choisit soigneusement quelques-uns et en remplit le petit sac pour sa fronde.

Elle se trouvait près d’un bouquet de pins et remarqua des petits monticules qui soulevaient la couche d’aiguilles et de brindilles sous les arbres. Elle les écarta, découvrit des champignons de pin beige rosé et en ramassa jusqu’à en avoir un joli tas. C’étaient de bons champignons, à la chair blanche et ferme, à l’odeur et au goût agréables, légèrement épicés, mais connus de peu de monde. Elle en remplit un troisième panier. Puis elle monta sur Whinney, siffla Loup et repartit en poussant la jument au galop pendant une partie du trajet. À son arrivée, tous étaient en train de préparer ou de prendre leur repas du matin. Elle se rendit directement au pavillon des Zelandonia et y entra avec deux de ses paniers. Seules les deux « Premières » étaient là.

— As-tu trouvé ce que tu cherchais ? demanda Celle Qui Était la Première.

— Oui. Voici quelques bons champignons de pin à la saveur assez inhabituelle que j’aime beaucoup, répondit Ayla avant de leur montrer le panier de ciguë : Ça, je ne l’ai jamais goûté.

— Heureusement. J’espère que tu ne le feras jamais.

— Dehors, dans le panier de Whinney, il y a de la berle. J’ai pris garde à ne pas les mélanger.

— Je vais la donner à ceux qui font la cuisine, répondit Zelandoni Première, plus grande et mince que sa consœur. Si elle n’est pas bien cuite, elle risque de ne pas avoir bon goût.

Elle observa Ayla un moment.

— Tout cela te met mal à l’aise, n’est-ce pas ?

— Oui. Je n’ai jamais ramassé délibérément une plante que je sais être nocive, sachant surtout qu’elle est destinée à être mangée.

— Mais tu sais que si on le laisse vivre, il fera encore du mal.

— Oui, je le sais, mais ça me contrarie quand même.

— Ça ne devrait pas, dit la Première. Tu rends service aux nôtres et tu en assumes la responsabilité. C’est un sacrifice, une Zelandoni doit en faire parfois.

— Je vais m’assurer qu’elle sera servie à ceux qui doivent la manger, annonça Zelandoni Première. C’est le sacrifice que je dois consentir. Ce sont mes gens et il leur a fait assez de mal comme ça.

— Et ses hommes ? s’enquit la Première.

— L’un d’eux, Gahaynar, demande ce qu’il peut faire pour réparer ses torts, répondit Zelandoni Première. Il dit qu’il regrette. J’ignore s’il tente d’échapper ainsi au châtiment qu’il sait imminent ou s’il est sincère. Je crois que je vais laisser la Mère en décider. S’il ne mange pas la racine et vit, je le laisserai partir. Si Balderan ne la mange pas et vit lui aussi, j’ai déjà parlé avec plusieurs personnes auxquelles il a nui personnellement et qui sont impatientes de le voir payer pour ses forfaits. Si nécessaire, je le leur livrerai, mais je préférerais la manière plus douce.

Quand Zelandoni Première alla chercher la ciguë, elle aperçut une ondulation sous le panier. Elle le souleva d’un geste rapide. Dessous se trouvait un serpent, un serpent extraordinaire.

— Regardez ça ! s’exclama-t-elle.

Ayla et la Première regardèrent et en eurent le souffle coupé. C’était un petit serpent, sans doute très jeune, et les bandes rouges qui couraient le long de son corps indiquaient qu’il n’était pas venimeux, mais dans la partie antérieure du corps les bandes se divisaient en Y. Le serpent avait deux têtes ! Il darda ses deux langues, tâtant l’air, puis commença à ramper, mais le mouvement était un peu irrégulier, comme s’il ne savait pas vraiment où aller.

— Vite, cherche quelque chose pour l’attraper avant qu’il disparaisse, dit la Première.

Ayla trouva une petite corbeille tressée.

— On peut se servir de ça ? demanda-t-elle à Zelandoni Première.

— Oui, très bien.

Le serpent chercha à s’échapper à l’approche d’Ayla, mais elle retourna la corbeille et l’immobilisa. Il rentra sa queue quand elle appuya fermement sur la corbeille pour l’empêcher de fuir.

— Qu’est-ce qu’on en fait ? demanda Zelandoni Première.

— Tu as quelque chose de plat que je pourrais glisser là-dessous ? s’enquit Ayla.

— Je ne sais pas. Le bord d’une pelle, ça irait ? Comme celle-ci ? demanda Zelandoni Première en ramassant la pelle qui servait à enlever les cendres du foyer.

— Oui, c’est parfait.

Ayla prit la pelle et la glissa sous la corbeille, puis elle les souleva en les maintenant l’une contre l’autre et les retourna.

— On pourrait trouver un couvercle pour cette corbeille ? Et de la ficelle pour l’attacher ?

Zelandoni Première trouva une autre corbeille, peu profonde, qu’elle tendit à Ayla. Celle-ci posa par terre la corbeille contenant le serpent, enleva la pelle et la remplaça par l’autre corbeille, puis ficela le tout. Les trois femmes allèrent ensuite prendre leur repas du matin.

 

 

Elles prévoyaient d’ouvrir la réunion lorsque le soleil serait au zénith, mais les gens commencèrent à arriver plus tôt sur le talus afin de trouver des places convenables pour mieux voir et entendre. Tout le monde savait que l’objet de la réunion était sérieux, mais il régnait néanmoins une atmosphère de fête, surtout en raison du plaisir d’être ensemble, d’autant plus que ce rassemblement n’était pas prévu. Et aussi parce qu’on était content que le fauteur de troubles ait été capturé.

Lorsque le soleil fut haut, l’aire de rassemblement débordait de monde. Zelandoni Première ouvrit la réunion et commença par souhaiter la bienvenue à la Première, ainsi qu’aux autres visiteurs. Elle expliqua que la Première était accompagnée de son acolyte et de son acolyte précédent, un Zelandoni à présent, qui accomplissaient leur Périple de Doniate et étaient venus voir le Site Sacré le Plus Ancien. Elle précisa que l’acolyte de la Première et son compagnon avaient capturé Balderan et trois de ses hommes lorsque ceux-ci avaient tenté de l’attaquer. Cette information déclencha un brouhaha de voix dans l’assistance.

— C’est la principale raison de la convocation de cette réunion, dit Zelandoni Première. Balderan a fait du mal et causé du chagrin à beaucoup d’entre vous pendant de longues années. Maintenant que nous l’avons entre nos mains, nous devons décider quoi faire de lui. Quel que soit le châtiment que nous lui infligerons, nous devons avoir la conviction qu’il est approprié.

— Tuons-le, proposa quelqu’un, assez fort pour que tout le monde entende, y compris la Zelandonia.

— C’est peut-être le châtiment qui convient, répondit Celle Qui Était la Première, mais qui va l’appliquer et comment, voilà la question. Si ce n’est pas fait comme il faut, ça risque de nous porter malheur à tous. La Mère a formellement interdit que des gens en tuent d’autres, si ce n’est dans des circonstances extraordinaires. En nous efforçant de trouver une solution au problème posé par Balderan, nous ne devons pas devenir comme lui.

— Comment l’a-t-elle capturé ? demanda quelqu’un.

— Demande-le-lui, dit la Première en se tournant vers Ayla.

Ce genre de situation la rendait toujours nerveuse, mais elle prit une profonde inspiration et essaya de répondre à la question :

— J’ai été chasseresse dès mon plus jeune âge et l’arme dont j’ai d’abord appris à me servir est une fronde… commença-t-elle.

Son accent surprit ceux et celles qui ne l’avaient pas encore entendue parler. Il était rare qu’un étranger ou une étrangère fasse partie de la Zelandonia et elle dut attendre pour continuer que les gens se taisent.

— Maintenant, vous le savez, je ne suis pas née zelandonii, dit-elle avec un sourire.

Son commentaire déclencha des petits rires dans l’assistance.

— J’ai été élevée à l’est, loin d’ici, et j’ai rencontré Jondalar quand il a effectué son Voyage.

Les gens se calmaient et s’installaient du mieux qu’ils pouvaient pour écouter ce qui promettait d’être une très bonne histoire.

— Quand Balderan et ses hommes m’ont vue, j’étais allée m’isoler derrière un bouquet d’arbres. Ils me regardaient. Une telle impolitesse m’a mise en colère et je le leur ai dit.

Nouveaux petits rires dans l’auditoire.

— Je garde en général ma fronde enroulée autour de la tête ; c’est une façon commode de la porter. Lorsqu’il a voulu m’agresser, je ne crois pas que Balderan ait compris que c’était une arme que je commençais à dérouler…

Elle joignit le geste à la parole, puis sortit de son petit sac deux des galets qu’elle avait ramassés dans le lit à sec du torrent, près de leur campement précédent. Elle rassembla les deux extrémités de la fronde, plaça une pierre dans le creux formé par l’usage au milieu de la bande de cuir. Elle avait déjà choisi une cible : un lièvre au pelage estival marron assis sur son arrière-train à côté d’un rocher près de son terrier. Au dernier moment, elle repéra aussi deux colverts, qui venaient de s’envoler de leur nid près de la rivière. Avec des gestes rapides et sûrs, elle lança la première pierre, puis la deuxième.

Les gens exprimèrent leur surprise :

— Vous avez vu ça ?

— Elle a tué ce canard en plein vol !

— Elle a tué aussi un lapin !

La démonstration leur avait donné la mesure de son adresse.

— Je ne voulais pas tuer Balderan… reprit Ayla.

— Mais elle aurait pu le faire, lâcha Jonokol, ce qui provoqua d’autres murmures.

— Je voulais seulement l’arrêter et j’ai donc visé la cuisse. Il doit avoir un beau bleu. J’ai touché l’autre au bras.

Elle siffla Loup, qui arriva immédiatement à son appel. Cela aussi déclencha une vague de commentaires dans l’assistance.

— Balderan et ses compagnons n’ont pas remarqué Loup, au début. Ce loup est mon ami et il m’obéit. Quand un troisième renégat a tenté de s’enfuir, j’ai demandé à Loup de l’arrêter. Il ne l’a pas attaqué ni n’a essayé de le tuer, il l’a mordu à la cheville et l’a fait trébucher. Puis Jondalar est apparu, avec son lance-sagaie.

« Lorsque nous avons ramené ces hommes ici, Balderan a tenté de s’échapper. Jondalar s’est servi de son lance-sagaie. Il lui a frôlé l’oreille, ce qui l’a arrêté net. Le tir de Jondalar est très précis.

Autres petits rires.

— Je t’avais dit qu’ils n’avaient aucune chance, confirma Willamar à Demoryn, assis à son côté.

— Lorsque j’ai vu comment ces hommes se comportaient avec moi, j’ai pensé qu’ils étaient sans doute des fauteurs de troubles, continua Ayla. C’est pourquoi nous vous les avons amenés, contre leur gré, bien sûr. C’est seulement en arrivant à la Troisième Caverne des Gardiens que nous avons compris tout le mal qu’ils avaient fait au fil des ans.

Elle s’interrompit, baissa les yeux. Il semblait évident qu’elle avait autre chose à dire :

— Je suis guérisseuse, j’ai aidé beaucoup de femmes à accoucher. Heureusement, la plupart des bébés sont parfaitement sains, mais certains enfants de la Mère ont un défaut de naissance. J’en ai vu. D’ordinaire, si le défaut est grave, ils ne survivent pas. La Mère les reprend parce qu’Elle seule peut y remédier, mais certains sont animés d’une forte volonté de vivre. Même affligés de défauts importants, ils vivent et souvent apportent beaucoup aux leurs.

« J’ai été élevée par un homme qui était un grand Mog-ur, le mot dont se servent les membres du Clan pour désigner un Zelandoni. Il n’avait l’usage que d’un bras, boitait, de naissance, et il n’avait qu’un œil. Son mauvais bras a été en plus abîmé par un ours des cavernes qui l’avait choisi et qui est devenu son totem. C’était un homme très sage, au service des siens et très respecté. Il y a aussi un garçon qui n’habite pas loin de notre Caverne et est né avec un bras déformé. Sa mère craignait qu’il ne soit jamais capable de chasser et ne devienne peut-être jamais un vrai homme, mais il a appris à se servir du lance-sagaie avec son bras valide, il est devenu bon chasseur et a gagné le respect de tous ; il a maintenant une compagne et ils sont heureux.

« Lorsqu’un enfant est mort-né ou quitte ce monde juste après sa naissance pour voyager dans celui d’Après, on ne devrait pas le pleurer ; la Mère l’a repris pour corriger ses défauts.

Ayla plongea la main dans la musette qu’elle portait à l’épaule et en sortit une petite corbeille fermée par un couvercle. Elle l’ouvrit et montra à bout de bras le serpent à deux têtes. Il y eut des exclamations de stupéfaction.

— Certains êtres vivants sont anormaux quand ils naissent et ça se voit.

Les gueules des deux têtes dardèrent leur langue.

— La seule manière pour ce serpent de corriger son défaut est de retourner à la Mère. Cependant, certains naissent parfois avec une anomalie et ça ne se voit pas. Lorsqu’on les regarde, ils semblent normaux, mais intérieurement ils ne le sont pas. Tout comme ce petit serpent, la seule façon de les faire revenir à la normale consiste à les renvoyer auprès de la Mère. Elle seule peut remédier à leurs défauts.

Balderan et ses hommes écoutaient aussi la harangue d’Ayla.

— Si nous voulons vivre, nous allons devoir saisir notre chance et vite, chuchota Balderan.

Il n’avait aucune envie d’être renvoyé auprès de la Mère. Pour la première fois de sa vie, il commençait à ressentir la peur qu’il avait si souvent fait naître chez autrui.

 

 

— Cela a été une façon tout à fait appropriée de parler de ce qu’il convenait de faire, dit Zelandoni Première en revenant au pavillon des Zelandonia en compagnie de la Première, d’Ayla et de Jonokol.

Loup suivait Ayla sans se presser, en réponse à son appel. Elle voulait qu’on sache que le quadrupède était un bon chasseur, mais aussi qu’il ne tuait pas au hasard.

— Les gens accepteront mieux la suite s’ils la conçoivent comme le renvoi de Balderan auprès de la Mère pour qu’Elle corrige ses défauts. Qu’est-ce qui t’y a fait penser ?

— Je l’ignore, répondit Ayla, mais quand j’ai vu le nain qui est arrivé avec la famille de Beladora, j’ai su qu’aucun remède ne pouvait l’aider à atteindre une taille normale, du moins à ma connaissance. Puis le petit serpent m’a fait comprendre que certaines choses ne peuvent être arrangées que par la Mère, et si ce n’est dans ce monde, alors peut-être dans celui d’Après.

— As-tu rencontré ce jeune homme ? demanda Zelandoni Première.

— Non, pas encore.

— Moi non plus, dit la Première.

— Eh bien, allons le voir maintenant.

Les trois femmes et leur compagnon se dirigèrent vers le campement des Giornadonii. Ils s’arrêtèrent au camp de la Neuvième Caverne pour prendre au passage Jondalar, Jonayla et Willamar, les seuls qui se trouvaient là. Beladora et Kimeran étaient au camp des Giornadonii avec leurs enfants. Ayla se demanda si la mère de Beladora allait réussir à les persuader de rentrer avec eux au foyer familial et d’y rester, bien que Kimeran fût le chef de la Deuxième Caverne. Elle tenait à mieux connaître ses petits-enfants.

Les amis se saluèrent en se frottant les joues, puis se lancèrent dans les présentations rituelles à la mère de Beladora, au chef de la Caverne et à quelques autres. Le jeune homme s’approcha alors.

— Je voulais faire ta connaissance, dit-il à Ayla. J’ai apprécié ce que tu as dit à propos du serpent et de certaines personnes que tu connais.

— J’en suis contente, répondit Ayla, qui se pencha et prit ses deux petites mains bizarrement formées dans les siennes.

Ses bras et ses jambes étaient aussi trop courts. Sa tête semblait trop grosse pour lui.

— Je suis Ayla, reprit-elle, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, Acolyte de la Première parmi Ceux Qui Servent la Grande Terre Mère, unie à Jondalar, Maître Tailleur de Silex, mère de Jonayla, Protégée de Doni. J’appartenais avant au Camp du Lion des Mamutoï, qui vivent loin à l’est. Adoptée par le Mamut, fille du Foyer du Mammouth, Choisie par l’Esprit du Lion, Protégée de l’Ours des Cavernes, amie des chevaux Whinney, Rapide et Grise, ainsi que du chasseur quadrupède Loup.

— Je suis Romitolo, de la Sixième Caverne des Giornadonii, dit-il avec un léger accent en zelandonii, langue qu’il parlait comme la sienne. Je te salue, Ayla de la Neuvième Caverne des Zelandonii. Tu possèdes beaucoup de liens peu ordinaires. Peut-être pourras-tu m’en dire davantage un jour. Mais d’abord j’aimerais te poser une question.

— Je t’en prie, dit Ayla, remarquant qu’il semblait ne pas éprouver le besoin d’énumérer tous ses noms et liens.

Il est assez unique pour s’en passer, pensa-t-elle. Il semble jeune et paraît pourtant sans âge.

— Que vas-tu faire du petit serpent ? demanda Romitolo. Vas-tu le renvoyer à la Mère ?

— Je ne pense pas. Je crois que la Mère le reprendra quand Elle sera prête à le recevoir.

— Tu as des chevaux et un loup, accepterais-tu de me laisser le petit serpent ? J’en prendrai soin.

Ayla garda le silence quelques instants, puis répondit :

— Je ne savais trop que faire de lui, mais c’est une bonne idée, si l’Homme Qui Commande ta Caverne n’y voit pas d’inconvénient. D’aucuns ont peur des serpents, même de ceux qui ne sont pas venimeux. Tu devras apprendre ce qu’il faut lui donner à manger ; peut-être pourrai-je t’y aider.

Elle tira de sa musette la petite corbeille tissée et la tendit à Romitolo. Appuyé contre sa jambe, Loup gémissait doucement.

— Tu aimerais faire la connaissance du loup ? Il ne te fera pas de mal. Quand il était petit, il s’est pris d’affection pour un garçon qui avait des problèmes avec l’organe qui pompe le sang. Je crois que tu le lui rappelles.

— Où est ce garçon, maintenant ?

— Rydag était très faible. Il voyage maintenant dans le Monde d’Après.

— Je m’affaiblis, je crois que je ne vais pas tarder à voyager moi aussi dans le Monde d’Après, dit Romitolo. J’y verrai désormais un retour auprès de la Mère.

Elle ne démentit pas. Il se connaissait sans doute, lui et son corps, mieux que personne.

— Je suis guérisseuse et j’ai aidé Rydag à se sentir mieux. Qu’est-ce qui ne va pas ? Peut-être pourrai-je aussi te soulager.

— Nous avons un bon guérisseur et il a probablement fait tout ce qui pouvait l’être. Il me donne des remèdes pour alléger la douleur lorsque j’en ai besoin. Je crois que je serai prêt à retourner à la Grande Mère le moment venu, dit Romitolo avant de changer de sujet : Comment puis-je faire la connaissance de ton loup ? Que dois-je faire ?

— Seulement le laisser te renifler et peut-être te lécher la main. Tu peux le flatter et toucher sa fourrure. Il est très gentil quand je le lui demande. Il adore les bébés, dit Ayla, avant d’ajouter : Tu as vu les perches sur lesquelles se déplace Celle Qui Est la Première ? Si tu veux monter dessus et être tiré par un cheval, je me ferai un plaisir de t’emmener où tu veux.

— Ou, si tu as besoin qu’on te porte, j’ai les épaules solides et j’ai déjà porté des gens de cette façon, offrit Jondalar.

— Je vous remercie de vos propositions, mais je dois dire que les déplacements me fatiguent. J’aimais beaucoup cela. Maintenant, même si on me porte, ça m’est pénible. J’ai failli ne pas participer à ce Voyage, mais si je ne l’avais pas fait, il ne serait resté personne pour m’aider et je ne peux me passer d’aide. J’aime cependant qu’on vienne me voir.

— Sais-tu combien d’années tu as ? s’enquit Celle Qui Était la Première.

— À peu près quatorze. J’ai atteint l’âge d’homme il y a deux étés, mais les choses ont empiré depuis.

La Première hocha la tête.

— Quand un garçon arrive à l’âge d’homme, son corps veut grandir, dit-elle.

— Et le mien ne sait pas grandir convenablement, reconnut Romitolo.

— Mais tu sais penser et tout le monde ne peut en dire autant, ajouta la Première. J’espère que tu vas vivre encore de longues années. Je crois que tu as beaucoup à offrir.

 

 

Les trois femmes de la Zelandonia se retrouvèrent plus tard dans l’après-midi au campement des voyageurs. La vaste zone de rassemblement était trop animée. Ce qui avait commencé comme une réunion de Zelandonia voisins était devenu une Réunion d’Été impromptue, et ceux qui faisaient la cuisine avaient investi l’espace couvert du pavillon. Il n’y avait personne d’autre dans le camp à ce moment-là et elles s’installèrent donc dans la tente d’Ayla pour discuter tranquillement. Elles parlèrent néanmoins à voix basse.

— Doit-on servir la ciguë ce soir ou vaut-il mieux attendre demain soir ? interrogea la Première.

— Je ne crois pas nécessaire d’attendre. Finissons-en au plus vite, répondit Zelandoni Première. Et la berle doit être cuite pendant qu’elle est fraîche, même si elle peut se garder un certain temps. J’ai une assistante, pas tout à fait un acolyte, qui m’aide beaucoup. Je vais lui demander de la préparer.

— Tu vas lui dire ce que c’est et à quoi elle va servir ? s’enquit la Première.

— Bien sûr. Si elle ne savait pas ce qu’elle prépare ni pourquoi, ce pourrait être dangereux pour elle.

— Je peux me rendre utile ? demanda Ayla.

— Tu as déjà fait ta part, dit la Première. En cueillant les plantes, pour commencer.

— En ce cas, je vais aller retrouver Jondalar. Je ne l’ai pas vu de la journée. Quand allons-nous visiter le Site Sacré ?

— Il est préférable d’attendre quelques jours que toute l’affaire Balderan soit réglée.

 

 

Balderan et ses hommes avaient observé Ayla, Jondalar et le loup très attentivement mais discrètement. La nuit tombait et le moment auquel le repas du soir allait être servi approchait. On ne parlait pas vraiment de festin, mais ça allait être un repas communautaire auquel tout le monde prendrait part et il régnait l’atmosphère des grandes occasions.

Ayla et Jondalar ne savaient trop à quel endroit les prisonniers étaient détenus, cela dépendait de qui les surveillait. Alors qu’ils étaient en pleine conversation, ils faillirent se cogner à Balderan et à ses hommes.

Balderan jeta un rapide coup d’œil alentour et remarqua que le loup ne les accompagnait pas. Ceux qui étaient censés les garder semblaient distraits et ne pas faire attention à eux.

— C’est le moment ou jamais, allons-y ! dit-il.

Il s’élança brusquement, empoigna Ayla et, l’instant d’après, il lui avait passé son lacet de cuir autour du cou.

— N’approche pas, sinon je la tue ! cria-t-il en serrant le lacet.

Le souffle coupé, Ayla essayait de respirer.

Les trois autres hommes s’étaient armés de pierres qu’ils menaçaient de lancer ou peut-être d’utiliser pour la frapper ou taper sur quiconque tenterait de les arrêter. Balderan avait espéré ce moment. Il avait prévu comment les choses se dérouleraient et maintenant qu’il avait Ayla à sa merci, il en éprouvait une jouissance. Il allait la tuer, peut-être pas tout de suite, et y prendre plaisir. Il était certain de savoir comment le « gentil géant » allait réagir.

Mais Balderan ignorait que Jondalar avait cultivé ce calme et cette réserve par besoin de se maîtriser. Il s’était déjà laissé envahir par la colère et savait de quoi il était capable.

Comment quelqu’un peut-il oser essayer de faire du mal à Ayla ! fut sa première pensée. Ce fut pratiquement la seule dont il se souvint après coup.

En un instant, avant qu’aucun des quatre hommes ait seulement pensé faire un geste, Jondalar s’avança de deux grands pas et se retrouva derrière Balderan. Il se pencha, le saisit par les poignets et lui fit lâcher prise en lui cassant presque les bras. Puis il lâcha un de ses poignets, le fit pivoter sur lui-même et dans le même mouvement lui asséna un coup de tête au visage. Il s’apprêta à frapper de nouveau, mais l’autre s’écroula, étourdi, le sang coulant à flots de son nez cassé. Les trois autres renégats s’étaient inconsciemment groupés, incapables d’un geste de plus.

Balderan s’était totalement mépris sur le compte de Jondalar. Non seulement celui-ci était grand et fort, mais il avait des réflexes rapides. Il avait dû s’exercer à maîtriser un étalon fougueux. Rapide n’était pas un cheval domestiqué, seulement dressé. Jondalar avait vécu avec lui dès sa naissance et l’avait dompté, mais Rapide avait conservé l’instinct naturel d’un étalon sauvage extrêmement vigoureux et parfois têtu. Il fallait beaucoup de force pour le diriger et cela avait maintenu Jondalar en forme et sur le qui-vive.

Balderan avait doublé le lacet qui avait servi à fermer sa chemise. Il pendait encore au cou d’Ayla, où il avait imprimé des marques rouge vif, visibles même à la faible lumière des foyers situés à quelque distance. Des gens accouraient dans leur direction. Tout était arrivé si vite. Plusieurs Zelandonia, dont la Première, vinrent prêter main-forte à Ayla, qui essayait de calmer le loup. Jondalar ne la quittait pas d’une semelle.

Les gens auxquels Zelandoni Première avait parlé de la manière d’en user avec Balderan s’étaient rassemblés autour de lui, étendu au sol. Soudain, Aremina, la femme qui avait été violée et dont le mari avait été tué, lui décocha un coup de pied. Puis celle qui avait perdu sa fille après qu’elle eut été enlevée et maltraitée lui donna aussi un coup de pied. L’homme qui avait été battu par Balderan et ses hommes après avoir dû assister au viol de sa compagne et de sa fille le frappa au visage et lui cassa encore le nez. Les comparses de Balderan tentèrent de s’esquiver, mais ils furent encerclés et l’un d’eux reçut un coup de poing en plein visage.

Rien ne pouvait maintenant arrêter la foule en colère. Tous ceux qui avaient été victimes de Balderan et de ses hommes leur rendaient maintenant la monnaie de leur pièce et avec intérêt. La foule était déchaînée. Ça s’était passé si vite que d’abord personne ne sut quoi faire, puis les Zelandonia tentèrent d’intervenir pour faire cesser le massacre.

— Arrêtez ! Arrêtez ! Vous vous comportez comme Balderan ! criait Ayla.

Mais les gens n’écoutaient pas et se libéraient de leur frustration, de leur sentiment d’impuissance et d’humiliation.

Lorsque enfin ils se calmèrent et regardèrent autour d’eux, les quatre hommes étaient étalés à terre, couverts de sang. Ayla se pencha pour examiner Balderan ; il était mort, et deux autres aussi. La vie du quatrième, celui qui avait exprimé des regrets, ne tenait qu’à un fil. Au côté d’Ayla, Loup observait la scène, un grondement sourd dans la gorge, ne sachant trop quelle attitude adopter. Ayla s’assit par terre et passa les bras autour de son cou.

La Première s’approcha d’elle.

— Ce n’est pas du tout de cette façon-là que j’espérais que ça se passerait, dit-elle. Je ne m’étais pas rendu compte qu’il y avait tant de colère rentrée, mais j’aurais dû.

— Balderan l’a appelée sur lui, observa Zelandoni Première. S’il n’avait pas attaqué Ayla, Jondalar ne l’aurait pas frappé. Dès qu’il a été terrassé, ceux à qui il avait fait du mal n’ont pu se retenir. Ils savaient qu’il n’était pas invincible. Plus besoin de ciguë, maintenant. Je vais devoir m’assurer qu’on s’en débarrasse comme il faut.

Tout le monde était encore tendu et surexcité. Il fallut à tous un moment pour comprendre ce qui s’était passé. Ceux qui avaient participé au massacre éprouvaient des émotions diverses, certains de la honte et du chagrin, d’autres du soulagement, de l’excitation, voire de l’allégresse, sachant que Balderan avait enfin eu ce qu’il méritait.

Levela avait gardé Jonayla avec elle ; quand Loup était sorti en courant de la tente, la fillette avait voulu le suivre. À son retour, Ayla avait sur elle du sang de Balderan, ce qui effraya sa fille. Elle dut lui assurer que ce n’était pas le sien, mais celui d’un blessé.

 

 

Le lendemain matin, Jondalar alla voir les Zelandonia qu’on qualifiait toutes deux de « Première » pour les informer qu’Ayla souhaitait rester dans sa tente toute la journée. Son cou lui faisait encore mal, conséquence de la tentative de strangulation. Tous les Zelandonia locaux avaient discuté de la manière de venir en aide aux gens, se demandant s’ils devaient organiser une autre réunion ou attendre qu’ils viennent à eux.

Sur le chemin du retour, Jondalar se rendit compte qu’on le regardait, mais peu lui importait. Et il n’entendait pas les commentaires. Les hommes admiraient sa force, la rapidité de sa réaction ; les femmes l’admiraient tout court. Laquelle d’entre elles n’aurait voulu avoir un tel homme, si beau, si prompt à se précipiter pour défendre sa compagne ? S’il les avait entendues, cela l’aurait laissé froid. Tout ce qu’il voulait, c’était retourner auprès d’Ayla et s’assurer qu’elle allait bien.

Plus tard, on raconta l’histoire de l’attaque lancée par Balderan contre Ayla et de la réponse immédiate de Jondalar, et non celle de la mêlée qui s’en était suivie et avait abouti à la mise à mort de trois hommes et peut-être de quatre, bien que Gahaynar s’accrochât à la vie. Les Zelandonia devaient décider de la façon de se débarrasser des corps et se trouvaient devant un dilemme. Ils ne voulaient pas les honorer de quelque manière que ce soit et il n’y aurait pas de cérémonie, mais ils voulaient être certains que leurs esprits seraient rendus à la Mère. On finit par emporter les cadavres dans les montagnes et les laisser sur une crête, à la merci des charognards.

 

 

Les visiteurs des Cavernes voisines campèrent quelques jours de plus dans le pré, puis, la fièvre étant retombée, repartirent peu à peu reprendre leur vie quotidienne. Ils allaient avoir beaucoup de choses à raconter, principalement sur Celle Qui Était la Première et sur son acolyte, qui se faisait obéir d’un loup et de chevaux, qui avait trouvé un serpent à deux têtes et les avait aidés à se débarrasser de Balderan. Cependant, les versions concernant Balderan et sa bande varieraient sans doute en fonction du rôle joué par chacun dans les événements.

Impatiente de partir, Ayla s’agitait. Elle estima que le moment était bien choisi pour finir de faire sécher la viande de bison – cela l’occuperait. Elle tendit des cordes sur des pieux et alluma des feux à proximité. Attirés par la viande crue, des insectes risquaient de la gâter en y pondant leurs œufs. La fumée les éloignait et, par ailleurs, parfumait la viande. Puis elle entreprit de débiter les quartiers de bison en morceaux uniformes. Levela ne tarda pas à se joindre à elle, ainsi que Jondecam et Jondalar. Ayla montra à Jonayla comment découper la viande et lui donna une longueur de corde pour la mettre à sécher.

Willamar et ses deux assistants arrivèrent au campement vers midi, en proie à une grande excitation.

— Nous avons pensé que ce serait une bonne idée de longer la Grande Rivière vers le sud jusqu’à la Mer Méridionale, annonça Willamar. Après avoir parcouru tant de chemin, ce serait dommage de ne pas la voir et on nous a dit que c’était l’époque du troc des coquillages. Ils en ont, paraît-il, beaucoup, des petits ronds, de longs et jolis dentales, des pétoncles particulièrement beaux et même des bigorneaux. Nous pourrions en garder certains et les troquer à la Cinquième Caverne.

— Qu’avons-nous à donner en échange ? demanda Jondalar.

— J’allais vous en parler. Crois-tu pouvoir trouver quelques bons silex et tailler des lames et des pointes que nous pourrions troquer contre les coquillages ? On pourrait aussi échanger une partie de la viande que tu es en train de sécher, Ayla.

— Comment savez-vous que c’est la période du troc et comment connaissez-vous tous ces coquillages ? s’enquit Levela.

— Un homme du Nord vient d’arriver. Il faut que vous le rencontriez. Il pratique le troc lui aussi et a de superbes sculptures en ivoire, dit Willamar.

— J’ai connu un homme qui sculptait l’ivoire, dit Ayla, un peu mélancolique.

Jondalar dressa l’oreille. Il connaissait lui aussi ce sculpteur. C’était un artiste remarquable et talentueux et c’était lui qui avait failli lui prendre Ayla. À cette pensée, il en eut encore la gorge nouée.

— J’aimerais le rencontrer et voir ses sculptures et je veux bien voir la Mer Méridionale, dit-il. Je suis sûr que nous pouvons pratiquer quelques échanges. Quelles autres bonnes marchandises y aurait-il à troquer ?

— Presque tout ce qui est bien fait ou utile, surtout si ça sort de l’ordinaire, répondit Willamar.

— Comme les paniers d’Ayla, dit Levela.

— Mes paniers ? Pourquoi ? demanda Ayla, un peu surprise. Ils sont tout à fait communs, pas même décorés…

— Justement. Ils semblent tout à fait communs jusqu’à ce qu’on les regarde de plus près. Ils sont bien faits, parfaitement hermétiques et réguliers, et le tressage est inhabituel. Ceux qui sont étanches le restent longtemps ; les autres, au tressage plus lâche, tiennent aussi très bien le coup. Quiconque s’y connaît en paniers préférera les tiens à d’autres, plus tape-à-l’œil mais moins bien faits. Même tes paniers jetables sont trop bien pour être jetés !

Le compliment fit rougir Ayla.

— Je me contente de les fabriquer comme on m’a appris à le faire, dit-elle. Je ne pensais pas qu’ils avaient quoi que ce soit de remarquable.

Jondalar sourit.

— Je me souviens que lors de notre premier séjour chez les Mamutoï il y a eu des festivités, au cours desquelles on échangeait des cadeaux. Tulie et Nezzie ont proposé de te donner certains objets dont tu aurais pu faire présent ; tu as répondu que tu en avais confectionné toi-même beaucoup pour t’occuper et que tu voulais retourner les chercher dans ta vallée. Nous y sommes donc allés. Tulie, en particulier, a été étonnée par leur beauté et leur qualité. Et Talut a adoré sa robe en peau de bison. Les objets que tu fabriques sont beaux, Ayla.

Ayla était maintenant rouge comme une pivoine et ne savait que dire.

— Si tu n’en es pas persuadée, il te suffit de regarder Jonayla, ajouta Jondalar avec un sourire.

— Je n’ai pas été la seule à la faire. Elle a beaucoup de toi, aussi.

— J’espère bien.

— Il n’y a pas de doute que la Mère a mêlé ton esprit à celui d’Ayla, dit Levela. On le voit aux yeux de Jonayla. Ils ont exactement la même couleur que les tiens et cette nuance de bleu n’est pas très courante.

— Donc, tout le monde est d’accord : nous passerons par la Mer Méridionale sur le chemin du retour, glissa Willamar. Et je crois que tu devrais confectionner quelques paniers, Ayla. Tu pourras les échanger contre du sel et pas seulement des coquillages.

— Quand allons-nous voir l’homme aux sculptures ? demanda Jondecam.

— Si c’est le moment de faire une pause pour le repas de midi, nous pouvons y aller maintenant, répondit Willamar.

— J’ai encore quelques morceaux à préparer, dit Levela.

— Nous pouvons emporter un peu de bison pour le repas, remarqua Jondalar.

Il prit Jonayla dans ses bras et tous partirent avec Willamar pour l’abri des Zelandonia. Demoryn parlait à un inconnu et Amelana, enceinte jusqu’aux yeux et pleinement consciente du charme que cela lui donnait, lui souriait. Il lui rendit son sourire. Il était assez grand et bien bâti, cheveux châtains et yeux bleus, visage avenant et, pour Ayla, il avait en lui quelque chose de familier.

— J’ai amené nos autres compagnons de voyage, annonça Willamar avant de commencer les présentations.

En entendant « Jondalar, de la Neuvième Caverne des Zelandonii » et en voyant Jondalar déposer Jonayla par terre pour pouvoir lui serrer les mains, l’homme parut perplexe.

— Et voici sa compagne, Ayla, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, auparavant du Camp du Lion des Mamutoï, fille du Foyer du Mammouth…

— Toi, je te connais, dit l’homme. Ou j’ai entendu parler de toi. Je suis Conardi, des Losadunaï, et vous avez tous les deux séjourné chez les Losadunaï il y a quelques années, non ?

— Oui, nous nous sommes arrêtés à la Caverne de Laduni sur le chemin du retour au cours de notre Voyage, confirma Jondalar, visiblement intrigué par cette rencontre fortuite.

Quiconque accomplissait un Voyage faisait généralement la connaissance de beaucoup de gens, mais il ne les revoyait ou ne rencontrait quelqu’un qui les connaissait que rarement.

— Nous avons tous entendu parler de vous deux à la Réunion d’Été suivante. Vous aviez fait forte impression, avec vos chevaux et votre loup, je m’en souviens, dit Conardi.

— Les chevaux sont ici, au camp, et Loup est en train de chasser, dit Ayla.

— Et cette jeune beauté doit être un ajout à la famille. À toi elle ressemble, dit Conardi au grand blond aux yeux bleu vif.

Il parlait zelandonii avec un léger accent et construisait ses phrases de façon légèrement différente, mais, Ayla s’en rappelait, leurs langues étaient très proches. De fait, il parlait bel et bien zelandonii, mais en y mêlant du losadunaï, sa propre langue.

— Willamar a dit que tu avais apporté des sculptures, reprit Jondalar.

— Oui, quelques-unes.

Conardi détacha un petit sac qu’il portait accroché à sa ceinture, l’ouvrit et en vida le contenu, plusieurs figurines en ivoire de mammouth, sur un plateau. Ayla en prit une, un mammouth dans lequel des lignes étaient incisées sans que la raison en soit claire. Elle le questionna donc.

— Je ne sais pas, dit-il. Ils les font toujours de cette façon. Elles n’ont pas été sculptées par des Anciens, mais à la manière des Anciens, surtout par de jeunes apprentis.

Ayla prit ensuite une figurine longue et mince. En la regardant de plus près, elle s’aperçut que c’était un oiseau, comme une oie en vol. Elle était simple et pleine de vie. La figurine suivante représentait une lionne debout ; du moins la tête, le haut du corps et les pattes de devant étaient-ils ceux d’un félin, alors que les jambes étaient humaines. Et sur le bas-ventre de la créature dressée était clairement dessiné un triangle allongé pointé vers le bas, un triangle pubien, signe distinctif de la femme. Bien qu’elle n’ait pas de seins, la figurine était bien celle d’une femme-lion.

La dernière figurine était indéniablement celle d’une femme, sans tête, seulement un trou par lequel était enfilé un cordon. Une main et des doigts étaient suggérés au bout des bras, les seins étaient énormes et placés très haut, les hanches larges. Le creux profondément incisé qui séparait les grosses fesses se prolongeait jusque devant et se terminait par une représentation si exagérée de la vulve que l’organe féminin semblait presque retourné.

— Elle a dû être sculptée par une femme qui avait déjà accouché, dit Ayla. On a parfois cette impression d’être coupée en deux.

— Tu as peut-être raison, Ayla. Les seins paraissent en effet pleins de lait, reconnut la Première.

— Tu destines ces figurines au troc ? demanda Willamar.

— Non, elles sont à moi. Ce sont des porte-bonheur, mais si vous en voulez, je peux les faire reproduire, répondit Conardi.

— À ta place, j’en ferais faire quelques-unes en plus pour les troquer. Je suis certain qu’elles seraient très demandées. Tu es Maître du Troc, Conardi ? demanda Willamar, qui avait remarqué que son interlocuteur ne portait pas le tatouage emblématique de la fonction.

— J’aime voyager et pratiquer l’échange parfois, mais je ne suis pas Maître du Troc. Tout le monde troque, mais chez nous personne n’en fait une spécialité.

— Si tu aimes voyager, tu peux t’en faire une. Je forme mes apprentis à cette fin. Ce long déplacement commercial est peut-être mon dernier. Me voilà à un âge où voyager perd son attrait. Je suis mûr pour m’installer à demeure avec ma compagne, ses enfants et petits-enfants, dont fait partie cette jolie fillette, ajouta-t-il en montrant Jonayla. Certains marchands emmènent leur compagne et leur famille avec eux, mais ma compagne dirigeait la Neuvième Caverne et n’était pas libre de se déplacer. Je rapportais toujours quelque chose à son intention. C’est pourquoi je t’ai demandé si tu destinais ces figurines à l’échange. Mais je suis sûr que je lui trouverai un cadeau lorsque nous irons à la Mer Méridionale pour troquer des coquillages. Aimerais-tu nous accompagner ?

— Quand partez-vous ?

— Bientôt, mais d’abord nous allons voir le Site Sacré le plus Ancien, répondit Willamar.

— Bonne idée. Belle caverne, peintures extraordinaires, mais j’ai vu plusieurs fois. J’y vais en avance, leur annoncer que vous arrivez, dit Conardi.

Le Pays Des Grottes Sacrées
titlepage.xhtml
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Auel,Jean M-[Enfants de la terre-6]Le pays des grottes sacrees(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html